Lettre
ouverte aux parents d'enfants énurétiques
Depuis
que je suis maman d'autres mamans le sont aussi. Elles me parlent de leurs
enfants. Et souvent j'ai croisé des enfants énurétiques. Et puis
un jour je me suis installée, j'ai posé ma plaque de psychanalyste.
Et j'ai croisé d'autres enfants énurétiques. D'eux je ne
connaissais pas la mère. Et chaque fois je ressens la même chose.
Le même malaise. La mère ne me semble pas à « sa »
place.
Qu'est ce que c'est que cette histoire ? La place de
qui ? Pourquoi sentir cette gêne face à la posture ou « au
dire » de ces mères ? Comme si je voyais, j'entendais
quelque chose qui m'était donné à voir ou à entendre du côté
d'un décalage. L'enfant n'est pas à la bonne place pour la mère et
la mère n'est pas à la bonne place pour l'enfant.
Qu'est ce que
c'est que cette histoire de bonne place ou pas ? La
psychanalyse nous invite à entendre l'autre sans jugement. Pourquoi
dès lors ce qui me vient serait du registre du bon ou du pas bon ?
Qui suis-je pour penser cela ?
Je vais essayer de le dire
autrement. Ce qui me vient juste après c'est « trop près ».
Et puis arrivent d'autres signifiants : collés, trop proche,
trop important, amalgamé, indifférencié ? Là ça va très loin, trop
loin. Comme si le corps de l'enfant occupait une place centrale pour
la mère. Comme si le corps de l'enfant occupait la place d'un
autre ? Qui ? L'homme ?
Ces femmes ont-elles un homme
dans leur vie ? Certaines oui … mais le désirent-elle ?
Ont-elles pour le corps d'un homme un désir, une place, un « feu
intérieur », « une humidité à l'intérieur »,
« quelque chose qui pourrait couler d'elles »? Là j'en
suis moins sûre … il peut y avoir un homme « dans la place »
mais rien ne me dit qu'il soit revêtu ou non de « l'agalma » ?
Qu''il brille aux yeux de la mère comme brille le corps de l'enfant
… Est-ce que la mère ressent pour l'homme cet irrépressible envie
de « s'y coller » comme elle se colle à son enfant …
bref, je suppose mais je n'en sais rien.
Je relève des phrases qui
viennent alimenter, éclairer ma clinique. Je vais essayer de les
reprendre ici. Avec prudence.
L'une
d'entre elle était dans la plainte perpétuelle de la copine de son
fils de 23 ans (ancien énurétique). Cette jeune belle-fille avait
tous les défauts du monde alors que le fils en était amoureux,
vivait avec elle, loin de chez ses parents. L'un des objets de la plainte maternelle m'a tout à
coup écorché les oreilles « mais est-ce qu'au moins ils
baisent ! ». Là je n'ai pu retenir mon exaspération et
lui ai dit que cela ne « la regardait pas ». Ce qu'elle a
d'ailleurs très mal supporté, ne voyant pas où était le problème
de ce que je pourrai nommer « voyeurisme ». Car
évidemment que oui « ça la regardait ». Mais pas dans
ce sens là. Dans le sens de « pris dans le regard ». Me
disant cela je voyais bien qu'elle était animée d'une agitation
importante, se trémoussant sur sa chaise en face de moi comme une
enfant qui a envie de faire pipi …
La
deuxième était aussi mère d'un fils (ancien énurétique) et là
au contraire de la première elle se délectait, se félicitait, j'ose écrire se
« ré-jouissait » de ce que son fils lui racontait, lui
disait de ses émois, ses amours, ses expériences … le problème
c'est qu'il avait 18 ans passé. Elle aussi se « gargarisait »
mais de ce que son fils était amoureux, avait une copine ...que
cette copine avait les même goûts qu'elle … à nouveau je
ressentais le même malaise, le même sentiment de « déplacé ».
En quoi une mère doit-elle tirer fierté de la femme de son fils ? Mais aussi chez certaines jeunes mamans de la taille du pénis de leur fils, plus grand que celui du cousin, du fils de la belle soeur etc...
La
troisième est arrivée comme une furie, dans un état de
sur-excitation. La nouvelle copine de son fils (ancien énurétique)
s'était pointée ce matin là. « Une garce » disait elle
… « comme sa mère ». La mère de qui ? Qui
parle ? Vu qu'elle ne connaissait pas la mère de cette jeune
femme j'ai supposé qu'elle parlait d'elle-même … Pourquoi cet
amalgame ? Cette colère ? Le fils de 18 ans avait raconté
à sa mère quelle sorte « d'expérience » il vivait avec
cette copine et la mère ne décolérait pas. Une sorte de nausée
m'a envahie progressivement. Mais que se passe-t'il chez une mère
pour se mettre dans un état pareil ? Elle « paraissant »
si « libérée » semblait tout à coup comme une vierge
effarouchée … les parties de jambes en l'air de son fils ne la
faisait pas rire du tout. A quelle place était-elle à ce moment
là ? Dans quelle fascination morbide était-elle tombée ?
Je
repense souvent à tous ces enfants traînés de psychologues en
pédopsychiatres en passant par la psychanalyse. Trimbalant leurs
paquets de couches pour les week-end chez les amis. Subissant les
colères ou les silences lourds de reproches de ceux qui ont du laver
leurs draps. Nuits après nuits, matin après matin. Devant gérer le
regard des autres sur les auréoles du matelas. La honte pour
certains. L'incompréhension de leur propre symptôme, l'impuissance
à y pouvoir quelque chose.
"Non Madame, il ne fait pas "ça" pour vous emmerder ... mais "oui" ça vous emmerde, je l'entends, je vous entends."
Une
kinésithérapeute est venue me rendre visite récemment. Spécialisée
dans la ré-éducation des troubles sphinctériens (y compris
énurétiques) chez l'enfant, elle souhaitais mon avis et peut-être
même mon aide. Pour déchiffrer quelque chose. Je l'ai arrêté tout
de suite : c'est indéchiffrable. En tout cas globalement. A la rigueur au cas par cas. Et encore. La seule chose que j'ai pu
constater dans ma pratique clinique c'est que l'enfant a été sauvé, débarrassé de son symptôme par l'entrée dans sa propre sexualité. L'énurésie
n'a pas résisté à la puberté installée. Dès que l'adolescent
« a pu transformer » son corps d'enfant, il n'a plus
pissé au lit.
Alors
que faire de cette gêne prégnante que je ressens ? Quels liens faire ou ne
surtout pas faire en tant qu'analyste ? Ces femmes semblent jouir au sens psychanalytique
de quelque chose du symptôme de leur enfant … mais quoi ?
Toute cette énergie qu'elles déploient à les « guérir ».
J'ai souvent eu la tentation en recevant des parents accompagnant
leur enfant symptomatique (énurétiques ou pas), de leur dire :
« rester, parler, je vous écoute, mais laisser votre enfant
rentrer à la maison. Faites le travail, semaines après semaines,
régler vos propres conflits psychiques inconscients. Et votre enfant
ira mieux ».
Impossible
à dire ou à entendre, à recevoir pour le parent. Cela a tant desservit la psychanalyse.
Puisque dans la simplification collective ambiante cela signifierait que le
parent est responsable voire coupable du symptôme de son enfant. Or
ce n'est pas ce que ce que je veux dire, ni ce que j'en pense. Je
parle d'inconscient et non pas d'intention. Ce que le parent a
refoulé peut faire retour du côté du symptôme chez l'enfant. Cela
n'a rien avoir avec une faute. Si ce n'est peut-être celle de ne
rien en vouloir savoir.