Chaque soir en été
j’accompagne les enfants à la plage. Et nous traversons la Gardiole : tous
les 500 mètres une femme de couleur sur le bord de la route en plein soleil.
Difficile de ne pas les voir, elles sont habillées de couleurs si vives ! Cela fait maintenant 6 ans que cette prostitution
est entrée dans mon quotidien.
Que faire et surtout que
penser ? Parfois un homme s’arrête, belle voiture, belle gueule : il vient
« acheter » une femme, un
sexe, un corps : pourquoi ? Pourquoi
acheter une intimité, une jouissance qu’il pourrait se procurer
différemment ? Je n’ai jamais vu de femme s’arrêter … Quelle est cette
différence ?
Pourtant l’envie, le désir
sexuel est bien là chez l’homme comme chez la femme. Parfois dévorant,
lancinant, frustrant, pulsionnel … Mais comment fait la femme ? Prend-elle
sur elle ? Se confronte-t’elle à la frustration ? A la
castration ? Au manque ? Au non rapport sexuel ?
L’homme serait-il différent
de la femme ? Le désir, la sexualité, l’envie varie d’un sujet à l’autre
mais le clivage n’est pas le genre. La sexualité se dit dans la singularité,
elle ne recoupe pas la différence de sexe.
Notre sexualité, notre
besoin sexuel dit quelque chose de notre rapport au manque, à la frustration et
à la castration. De notre rapport à l’être adulte, c'est-à-dire ne plus faire
l’enfant et sortir de la pulsion. « L’enfant dans l’adulte ou la
clinique des pulsions » titrait dernièrement un colloque de psychanalyse.
L’homme qui s’arrête
devant moi pour une passe est-il pulsionnel ? Fait-il l’enfant ? Comme
celui que ne se retient pas : de faire pipi, de faire caca ... L’homme qui
consomme du sexe dans la Gardiole serait-il « plus dans sa queue que dans
sa tête » ?
« Sans queue ni
tête » nous dit Georges et c’est bien ce que j’en pense. Tout cela me
semble manquer de sens, se vider de sens. Sauf du côté de la consommation.
Quel est ce monde où
l’objet sexuel s’expose comme objet de consommation ? La prostitution est
pourtant bien antérieure au capitalisme ! Comme si son antériorité en
légitimait la survivance. Sous prétexte d’ancestral avons-nous continué à nous
manger les uns les autres, à nous condamner à mort ? La prostitution
serait elle un archaïsme, un anachronisme : la survivance de quoi ?
Le couple homme-femme a depuis longtemps les moyens de jouir sans procréer, de
jouir sans se marier, de jouir sans s’aimer, de jouir sans se connaitre …
Pourquoi dès lors
consommer du sexe à l’heure du goûter ? Et puis que dire à mes
enfants ?
Quand je suis arrivée sur
la plage cet après midi là, une amie m’attendait : psychanalyste et mère
de 3 enfants comme moi. Je lui ai parlé de mon malaise face à cette
prostitution. Quelle est ma place de femme psychanalyste dans ce monde
là ? Dois-je m’arrêter pour proposer à ces femmes un temps d’écoute ?
Dois-je faire des permanences dans une association d’aide aux femmes
prostituées ? Mon amie m’a proposé d’écrire et j’ai proposé cet article à
Georges.
Il existe chez certaines
femmes un fantasme de prostitution, de monnayer leur sexualité, leur corps.
D’être l’objet sexuel de l’homme. Son objet de consommation ? D’où vient
ce désir, cette jouissance ? Probablement de l’histoire de chacune.
« Tu es belle ma fille, je t’aime, je sais ce que tu attends de moi, je ne
te le donnerai pas, un autre homme que moi te le donnera ». Telle pourrait
être la métaphore paternelle de transmission d’une féminité d’un père à sa
fille. Tout dépend ce qui est tue ! Est-ce par là que passe cette
confusion entre sexualité et consommation ?
Est-ce du côté du père ou
du côté de la mère ? Comment grandissent ces femmes dont les mères ne
désiraient pas les pères ? Ont-elles des « trous » dans la
chaine signifiante de leur sexualité, de leur féminité. Absence de jouissance,
jouissance perverse, jouissance masochiste ?
Et l’homme dans tout ça,
comment devient il celui de la Gardiole ? Que lui a transmis son
père ? Que lui a transmis sa mère ? En plein ou en creux quelque
chose cloche …
Un patient disait en
séance récemment que sa femme ne désirait plus faire l’amour avec lui et que ce
serait peut être plus simple d’aller voir une prostituée que de trouver une
solution avec elle ou de trouver une autre femme. Ce serait donc ça : du
« plus simple ». Du « plus facile » que la confrontation
avec l’autre, le non désir de l’autre ou un nouvel autre. Dès lors cette
consommation sexuelle viendrait contourner à la fois l’altérité et la
castration. L’autre me dit non alors j’achète ce qui me manque, je consomme mon
envie, mon besoin.
Pourtant quel père envisage
sereinement l’avenir de sa fille dans la profession de prostituée. Alors qui
sont-elles ces femmes qui le sont ? Elles ne seraient pas dignes d’être
filles d’un père ?
Reste ma question :
comment ces femmes vont-elles pouvoir se construire, s’épanouir en vendant
leurs corps au bord de la route ? Quels traumatismes, quelles traces
vont-elles en garder ? Elles sont si jeunes, si loin de leurs pays, de
leurs cultures, de leurs familles. Dans quel pays vivons-nous pour leur
proposer de gagner leur vie en vendant leurs corps ? Quelle est la
responsabilité de chacun d’entre nous face à ça ? Combien de temps
allons-nous continuer à détourner le regard, à poursuivre notre chemin ?
Combien de temps vais-je continuer à détourner le regard, à poursuivre mon
chemin ?
Saussan, le 30 septembre
2015