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mardi 25 août 2015

PUBLICATION / Le temps est au jeu de dupes

Le temps est au jeu de dupes


Le jour où j'ai posé ma plaque …

C’était en février & ma première patiente est arrivée en mai. Elle était enceinte, vulnérable. Elle est venue jusqu’à la naissance de son enfant. Entre temps d’autres sont venus, des femmes et puis un homme. Il attendait aussi un enfant, il vient toujours me voir.

Au commencement il y a eu cette attente de quelques semaines, quelques mois. Et puis cela ne s'est pas arrêté. C'est inattendu. En même temps cela ne m'étonne pas : il y a longtemps que j'y pensais, sans vraiment me l'autoriser. Quand j'ai poussé la porte de mon 1er « psy », je n'avais pas conscience de cette évidence. Ce désir s'est imposé à moi pendant ces années d’analyse … « le psychanalyste ne s'autorise que de lui même... et de quelques autres » nous dit Lacan. Mais quel moment de solitude le jour où enfin c'est écrit, là dehors : psychanalyste !

Au début je n'ai pas inscrit mon nom, j'ai mis du temps à me nommer comme analyste. Je me rappelle cet ami psychiatre et psychanalyste qui m’a interpelé un jour « pourquoi ne poses-tu pas ta plaque ? ». Il fait partie pour moi de ces « quelques autres » dont nous parle Lacan. Il m’a autorisé à m’autoriser. L’ai-je placé en « sujet supposé savoir ? ». Sans doute, à ce moment là … je n’avais pas encore décidé d’arrêter mon analyse. Finalement je me suis d’abord autorisée à prendre la posture de l’analyste & ensuite à mettre fin à mon analyse. Avais-je besoin de cette « légitimité » ? De ce regard posé par « les autres » ? Ce passage est initiatique.

Comme donner naissance à un enfant & devenir mère par la même occasion. On ne peut pas revenir en arrière, l’enfant ne retournera pas dans le ventre de sa mère. Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même, il prend ses responsabilités. C’est arrivé en même temps dans ma vie. Je me suis installée après avoir eu mes enfants. Même responsabilité, même im-posture. Ces « métiers impossibles » dont Freud nous parlait. Ils vont bien ensemble. Ils s’alimentent mutuellement. Ça s’articule souvent. Je n’aurai pas pu être psychanalyste avant d’être mère, avant d’avoir 40 ans … avant tout ce long chemin.
La première fois j’ai eu du mal à me faire payer. Je demande à mes patients de choisir le prix qu’ils vont payer pour ce travail. Certains paient le prix fort, d’autres pas. D’emblée quelque chose ce dit, là dans l’argent qu’ils me donnent. Je me souviens d’un homme qui n’arrivait pas à me le donner, cet argent, de la main à la main. Il voulait poser cet argent, le déposer. Et je tendais la main à chaque fois. C’est plus facile aujourd’hui. Pour lui, et pour moi. Certains paient en liquide & d’autres par chèque. C’est de leur responsabilité. Pour moi cela n’entre pas dans « la direction de la cure ». Le psychanalyste dirige la cure, il entend la demande initiale du patient. Je note les premiers mots, la première séance. Souvent tout y est. Il m’arrive d’y revenir, de reformuler cette première demande. C’est un entretien préliminaire, sans engagement, sans contre partie. Cette première séance est gratuite, pas forcement plus courte. Ensuite je propose un rdv si je sens que le désir est là. De parler, de se raconter. Le patient repart avec deux questions : a-t’il envie de revenir ? Combien est-il prêt à payer pour ce travail ? Alors ensuite commence quelque chose entre eux et moi, chaque semaine, parfois 2 fois par semaine. Et cela dure un temps … quelques mois ou quelques années. Le temps dans l’analyse nous dit Lacan : « l’instant de voir, le temps de comprendre, le moment de conclure ».


Les années sont passées, j’ai ouvert d’autres cabinets. Aujourd’hui mon carnet de rdv est rempli. Je m’appui sur d’autres espaces de parole. Supervision, cartels, associations de psychanalyse, présentation de malade … C’est un équilibrage, un étayage. Comme des poupées gigognes se protègent, se dissimulent, s’ouvrent ou se cachent. Chaque jour est nouveau, riche, difficile, émouvant, fortifiant. Parfois je sens une larme monter, c’est rare mais cela est arrivé. Des patients m’ont touché de leur mot, parfois. L’ébranlement ne dure pas, les fondations tiennent le choc. Qui sont-elles ? Mes propres analyses, ces années de divan, ces années ailleurs. Dans d’autres lieux, d’autres postures. Le psychanalyste est parfois derrière, parfois devant. Il bouge peu, parle parfois, se tait souvent. Un tout petit théâtre où il se passe de grandes choses. Rarement saisissables, souvent à retardement. Comme décalées dans le temps. Alors ils s’en saisissent, en sont fiers. J’écoute, je supporte leurs plaintes, quotidiennes. Je tends les mouchoirs à leurs larmes.