Le jour où j'ai posé ma plaque …
C’était en février & ma première patiente est
arrivée en mai. Elle était enceinte, vulnérable. Elle
est venue jusqu’à la naissance de son enfant. Entre temps d’autres sont venus,
des femmes et puis un homme. Il attendait aussi un enfant, il vient toujours me
voir.
Au commencement il y a eu cette attente de quelques semaines,
quelques mois. Et puis cela ne s'est pas arrêté. C'est inattendu. En même temps
cela ne m'étonne pas : il y a longtemps que j'y pensais, sans vraiment me
l'autoriser. Quand j'ai poussé la porte de mon 1er « psy », je
n'avais pas conscience de cette évidence. Ce désir s'est imposé à moi pendant
ces années d’analyse … « le psychanalyste ne s'autorise que de lui même...
et de quelques autres » nous dit Lacan. Mais quel moment de solitude le
jour où enfin c'est écrit, là dehors : psychanalyste !
Au début je n'ai pas inscrit mon nom, j'ai mis du temps
à me nommer comme analyste. Je me rappelle cet ami psychiatre et psychanalyste
qui m’a interpelé un jour « pourquoi ne poses-tu pas ta
plaque ? ». Il fait partie pour moi de ces « quelques
autres » dont nous parle Lacan. Il m’a autorisé à m’autoriser. L’ai-je
placé en « sujet supposé savoir ? ». Sans doute, à ce moment là
… je n’avais pas encore décidé d’arrêter mon analyse. Finalement je me suis
d’abord autorisée à prendre la posture de l’analyste & ensuite à mettre fin
à mon analyse. Avais-je besoin de cette « légitimité » ? De ce
regard posé par « les autres » ? Ce passage est initiatique.
Comme donner naissance à un enfant & devenir mère
par la même occasion. On ne peut pas revenir en arrière, l’enfant ne retournera
pas dans le ventre de sa mère. Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même,
il prend ses responsabilités. C’est arrivé en même temps dans ma vie. Je me
suis installée après avoir eu mes enfants. Même responsabilité, même
im-posture. Ces « métiers impossibles » dont Freud nous parlait. Ils
vont bien ensemble. Ils s’alimentent mutuellement. Ça s’articule souvent. Je
n’aurai pas pu être psychanalyste avant d’être mère, avant d’avoir 40 ans … avant
tout ce long chemin.
La première fois j’ai eu du mal à
me faire payer. Je demande à mes patients de choisir le prix qu’ils vont payer
pour ce travail. Certains paient le prix fort, d’autres pas. D’emblée quelque
chose ce dit, là dans l’argent qu’ils me donnent. Je me souviens d’un homme qui
n’arrivait pas à me le donner, cet argent, de la main à la main. Il voulait
poser cet argent, le déposer. Et je tendais la main à chaque fois. C’est plus
facile aujourd’hui. Pour lui, et pour moi. Certains paient en liquide & d’autres
par chèque. C’est de leur responsabilité. Pour moi cela n’entre pas dans
« la direction de la cure ». Le psychanalyste dirige la cure, il
entend la demande initiale du patient. Je note les premiers mots, la première
séance. Souvent tout y est. Il m’arrive d’y revenir, de reformuler cette
première demande. C’est un entretien préliminaire, sans engagement, sans contre
partie. Cette première séance est gratuite, pas forcement plus courte. Ensuite
je propose un rdv si je sens que le désir est là. De parler, de se raconter. Le
patient repart avec deux questions : a-t’il envie de revenir ? Combien
est-il prêt à payer pour ce travail ? Alors ensuite commence quelque chose
entre eux et moi, chaque semaine, parfois 2 fois par semaine. Et cela dure un
temps … quelques mois ou quelques années. Le temps dans l’analyse nous dit
Lacan : « l’instant de voir, le temps de comprendre, le moment de
conclure ».
Les années sont passées, j’ai ouvert
d’autres cabinets. Aujourd’hui mon carnet de rdv est rempli. Je m’appui sur
d’autres espaces de parole. Supervision, cartels, associations de psychanalyse,
présentation de malade … C’est un équilibrage, un étayage. Comme des poupées
gigognes se protègent, se dissimulent, s’ouvrent ou se cachent. Chaque jour est
nouveau, riche, difficile, émouvant, fortifiant. Parfois je sens une larme
monter, c’est rare mais cela est arrivé. Des patients m’ont touché de leur mot,
parfois. L’ébranlement ne dure pas, les fondations tiennent le choc. Qui
sont-elles ? Mes propres analyses, ces années de divan, ces années
ailleurs. Dans d’autres lieux, d’autres postures. Le psychanalyste est parfois
derrière, parfois devant. Il bouge peu, parle parfois, se tait souvent. Un tout
petit théâtre où il se passe de grandes choses. Rarement saisissables, souvent
à retardement. Comme décalées dans le temps. Alors ils s’en saisissent, en sont
fiers. J’écoute, je supporte leurs plaintes, quotidiennes. Je tends les
mouchoirs à leurs larmes.