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mercredi 30 septembre 2015

Les femmes de la Gardiole

Chaque soir en été j’accompagne les enfants à la plage. Et nous traversons la Gardiole : tous les 500 mètres une femme de couleur sur le bord de la route en plein soleil. Difficile de ne pas les voir, elles sont habillées de couleurs si vives ! Cela fait maintenant 6 ans que cette prostitution est entrée dans mon quotidien.
Que faire et surtout que penser ? Parfois un homme s’arrête, belle voiture, belle gueule : il vient « acheter » une femme, un sexe, un corps : pourquoi ? Pourquoi acheter une intimité, une jouissance qu’il pourrait se procurer différemment ? Je n’ai jamais vu de femme s’arrêter … Quelle est cette différence ?
Pourtant l’envie, le désir sexuel est bien là chez l’homme comme chez la femme. Parfois dévorant, lancinant, frustrant, pulsionnel … Mais comment fait la femme ? Prend-elle sur elle ? Se confronte-t’elle à la frustration ? A la castration ? Au manque ? Au non rapport sexuel ?
L’homme serait-il différent de la femme ? Le désir, la sexualité, l’envie varie d’un sujet à l’autre mais le clivage n’est pas le genre. La sexualité se dit dans la singularité, elle ne recoupe pas la différence de sexe.
Notre sexualité, notre besoin sexuel dit quelque chose de notre rapport au manque, à la frustration et à la castration. De notre rapport à l’être adulte, c'est-à-dire ne plus faire l’enfant et sortir de la pulsion. « L’enfant dans l’adulte ou la clinique des pulsions » titrait dernièrement un colloque de psychanalyse.
L’homme qui s’arrête devant moi pour une passe est-il pulsionnel ? Fait-il l’enfant ? Comme celui que ne se retient pas : de faire pipi, de faire caca ... L’homme qui consomme du sexe dans la Gardiole serait-il « plus dans sa queue que dans sa tête » ?
« Sans queue ni tête » nous dit Georges et c’est bien ce que j’en pense. Tout cela me semble manquer de sens, se vider de sens. Sauf du côté de la consommation.
Quel est ce monde où l’objet sexuel s’expose comme objet de consommation ? La prostitution est pourtant bien antérieure au capitalisme ! Comme si son antériorité en légitimait la survivance. Sous prétexte d’ancestral avons-nous continué à nous manger les uns les autres, à nous condamner à mort ? La prostitution serait elle un archaïsme, un anachronisme : la survivance de quoi ? Le couple homme-femme a depuis longtemps les moyens de jouir sans procréer, de jouir sans se marier, de jouir sans s’aimer, de jouir sans se connaitre …
Pourquoi dès lors consommer du sexe à l’heure du goûter ? Et puis que dire à mes enfants ?
Quand je suis arrivée sur la plage cet après midi là, une amie m’attendait : psychanalyste et mère de 3 enfants comme moi. Je lui ai parlé de mon malaise face à cette prostitution. Quelle est ma place de femme psychanalyste dans ce monde là ? Dois-je m’arrêter pour proposer à ces femmes un temps d’écoute ? Dois-je faire des permanences dans une association d’aide aux femmes prostituées ? Mon amie m’a proposé d’écrire et j’ai proposé cet article à Georges.
Il existe chez certaines femmes un fantasme de prostitution, de monnayer leur sexualité, leur corps. D’être l’objet sexuel de l’homme. Son objet de consommation ? D’où vient ce désir, cette jouissance ? Probablement de l’histoire de chacune. « Tu es belle ma fille, je t’aime, je sais ce que tu attends de moi, je ne te le donnerai pas, un autre homme que moi te le donnera ». Telle pourrait être la métaphore paternelle de transmission d’une féminité d’un père à sa fille. Tout dépend ce qui est tue ! Est-ce par là que passe cette confusion entre sexualité et consommation ?
Est-ce du côté du père ou du côté de la mère ? Comment grandissent ces femmes dont les mères ne désiraient pas les pères ? Ont-elles des « trous » dans la chaine signifiante de leur sexualité, de leur féminité. Absence de jouissance, jouissance perverse, jouissance masochiste ?
Et l’homme dans tout ça, comment devient il celui de la Gardiole ? Que lui a transmis son père ? Que lui a transmis sa mère ? En plein ou en creux quelque chose cloche …
Un patient disait en séance récemment que sa femme ne désirait plus faire l’amour avec lui et que ce serait peut être plus simple d’aller voir une prostituée que de trouver une solution avec elle ou de trouver une autre femme. Ce serait donc ça : du « plus simple ». Du « plus facile » que la confrontation avec l’autre, le non désir de l’autre ou un nouvel autre. Dès lors cette consommation sexuelle viendrait contourner à la fois l’altérité et la castration. L’autre me dit non alors j’achète ce qui me manque, je consomme mon envie, mon besoin.
Pourtant quel père envisage sereinement l’avenir de sa fille dans la profession de prostituée. Alors qui sont-elles ces femmes qui le sont ? Elles ne seraient pas dignes d’être filles d’un père ?
Reste ma question : comment ces femmes vont-elles pouvoir se construire, s’épanouir en vendant leurs corps au bord de la route ? Quels traumatismes, quelles traces vont-elles en garder ? Elles sont si jeunes, si loin de leurs pays, de leurs cultures, de leurs familles. Dans quel pays vivons-nous pour leur proposer de gagner leur vie en vendant leurs corps ? Quelle est la responsabilité de chacun d’entre nous face à ça ? Combien de temps allons-nous continuer à détourner le regard, à poursuivre notre chemin ? Combien de temps vais-je continuer à détourner le regard, à poursuivre mon chemin ?


Saussan, le 30 septembre 2015